Elias - 22

La pluie n’avait pas cessé pendant la nuit, mais son rythme et son intensité s’étaient apaisées. Des gouttes fines perlaient des arbres pour s’écraser devant leur grotte. La flaque qui s’était créée ruisselait désormais vers l’intérieur et le filet d’eau passait à quelques centimètres de leur tête pour aller se perdre au fond de la grotte. La chance leur avait évité un bain désagréable.

Coralie bailla et étira ses jambes, puis se dégagea doucement du bras d’Elias qui entourait ses épaules. Les deux acolytes s’étaient endormis l’un contre l’autre entre le foyer et la roche tiède pour se protéger des courants d’air froids de la nuit. Elias se retourna sur les tissus étendus au sol, marmonnant des paroles inaudibles, sans se réveiller.

Elle se leva et se dirigea vers l’extérieur. Dehors, le soleil perçait entre les nuages. Les hauts arbres qui se dressaient entre leur refuge et le verger brillaient des rayons traversant leur cime et se reflétant sur leur feuilles trempées. Coralie admira leur scintillement, et se réjouis que la pluie ne paraisse plus les empêcher d’avancer.

Elle prépara ses affaires attentivement. Le livre de Val se retrouva le plus bas possible, juste au-dessus de ses flacons rougeâtres et de quelques pages décrochées de son carnet. Elle retrouva dans le même élan quelques biscuits qu’elle avait emmené depuis Morat et oubliés là au fond. Elle les laissa hors du sac lorsqu’elle reposa couche par couche le reste de ses affaires. Elle finit par ressortir un carré de bâche d’un petit sac. Elle se souvint qu’elle avait prévu de pouvoir dormir dessous si nécessaire, une occasion qui ne s’était pas présentée.

Ses habits, secs grâce au feu d’Elias, retrouvèrent leur place sur ses épaules, ses hanches, ses pieds. Elle repéra le pot reposant à côté des cendres et se demanda si son infusion de la veille lui avait permit de dormir étonnamment bien. Elle sentait que leur chemin risquaient de diverger aujourd’hui et cette pensée, pesant sur l’air autour d’elle, faisait tourner ses pensées autour du voyage qu’ils avaient partagés. Le connaître était une des plus belles choses qui lui était arrivée ces dernières années. Elle se demanda si son père et lui s’entendraient bien et s’ils venaient à se rencontrer.

Son sac prêt, elle ramassa ses biscuits et une idée lui vint. Elle pouvait peut-être lui rendre un peu de ce qu’il lui avait apporté. Alors qu’il se réveillait et s’habillait, elle sortit du sac à nourriture – qu’ils devraient encore séparer en deux – une pomme, un morceau de pain qu’elle coupa en tranches, et y ajouta ses biscuits. Avec des morceau de bois à demi calcinés et des brindilles, elle écrivit au sol : «Joyeux anniversaire».

Elias sembla surpris et touché par son geste. Il lui adressa un grand sourire et ils mangèrent ensemble. Elle lui expliqua quelques coutumes qui lui semblaient importantes pour un anniversaire, comme rassembler de la famille ou des amis, manger un bon repas – dont le secret était de terminer par un gâteau ou des biscuits – et recevoir des cadeaux. Bien sûr, aucune de ces coutumes n’était obligatoire pour appeler ça un anniversaire, chaque personne faisait sa fête personnelle comme elle en avait envie.

Dès qu’ils eurent fini de manger, Coralie l’emmena dehors en annonçant qu’elle avait un cadeau pour lui là-bas. Elle trotta à travers les arbres jusqu’au début du verger, et trouva ce qu’elle cherchait à la lisière du bois. Une grande fleur blanche. Lorsque les deux acolytes étaient revenus du verger la veille, cette fleur qui ressemblait à des petits coussinets moelleux lui avait tapé dans l’œil. Elle la désigna d’un geste théâtral.

- Cadeau ! Vu qu’elle est seule ici je vais pas l’arracher mais tu peux au moins l’observer.

Elle se pencha pour sentir si celle-ci avait au moins un parfum intéressant. Et toussa. L’odeur lui faisait penser à un mélange désagréable d’urine et de sueur. Quelle déception ! Elle s’en écarta rapidement et tenta de se frotter discrètement le nez, Elias éclata de rire. Elle hésita à lui envoyer une remarque cinglante, mais se retint à temps, la bouche ouverte. C’était son anniversaire. Elle transforma le son qui sortait de sa gorge en un bredouillement sur le fait que l’observer de loin était sûrement préférable.

Elias resta à distance, comme recommandé. Un grand sourire fendait son visage et ses yeux brillaient, sans pourtant qu’elle y décèle l’éclat moqueur qu’elle s’attendait à y trouver. Il resta un instant immobile et elle commença à se demander ce qu’il pensait de son cadeau et de la situation. Sans qu’elle put se l’expliquer, ce temps de silence la crispa imperceptiblement. Il prit finalement la parole en désignant la fleur du menton.

- Merci beaucoup… elle est superbe ! Il y avait un bout de racine de valériane dans la tisane d’hier. J’ai toujours beaucoup aimé ses fleurs, mais c’est vrai qu’elles puent !

Coralie se détendit. Leur échange continua quelques instants sur la valériane et les odeurs inappropriées des fleurs, surtout celles dégageant une odeur repoussante. Elle n’avait que quelques souvenir de son enfance mais Elias débordait d’anecdotes ; une fleur bizarre de sous-bois, des touffes violettes de climats secs, mêmes les fruits d’un arbre. Des plantes qui, parfois, pouvaient cacher un goût excellent pour une autre partie de la même plante. Mais elles pouvaient aussi être complètement toxiques, rares étaient les originaux qui tentaient de s’y intéresser.

L’aller-retour pour chercher les affaires fut rapide. Les sacs remplis et sur leur dos, Elias et Coralie rejoignirent leurs vélos. Leurs montures étaient toujours appuyées contre deux arbres. Les selles furent débarrassées au mieux de l’eau de pluie dont elles étaient imbibées, puis Coralie vérifia l’état des chaînes, des freins et des porte-bagages. Leurs deux-roues tiendraient la route. La boue la dissuada de traverser le verger détrempé en quelques coups de pédales ; les roues se seraient assurément enfoncées. Elle enfourcha son vélo lorsqu’il fut sur le chemin et Elias fit de même. Sur les graviers qui leur permirent de démarrer, le bruit des chaînes grinçantes fit un étrange écho au déluge qui les avait amené là.