Elias - 19

- Jax ! Amène lo boug au salon du bas, Emma et moi on monte avec lo blesséx !

- Pourquoi en bas, ol peut bien rester ici nan ?

- Page tu t’occupes de cellui qui saigne ? Nan pas lo blesséx, l’autre !

- Salut, ça te dit de venir avec moi ? Faut que je te montre un truc.

- Mais Jen, pourquoi en bas ?!

- C’est plus calme, Jax ! Et ol peut pas venir dans les étages du haut, on l’a dit en réu !

- Allez, viens, tu verras tes acolytes plus tard.

- Emma tu m’aides ? Faut qu’on lo carry à la bulle.

Coralie observait la bouille souriante qui lui faisait face, au milieu d’un brouhaha impressionnant. La nouvelle venue était une personne qu’elle dépassait d’une tête mais qui donnait l’air de pouvoir la porter à une main. Short violet brillant, sweat-shirt noir à capuche, trois lignes de cheveux teintes en violet. Elle lui tendit une main large, la tête penchée, l’invitant à la suivre.

Depuis leur entrée dans le bâtiment, elle s’était sentie atterrir dans une fourmilière en ébullition et se demanda si c’était vraiment ce que le – ou la - jeune blessé-e qu’ils avaient trouvé avait besoin. Marc – ou Mara, elle n’avait pas bien compris son nom avec son accent et sa lèvre tuméfiée – avait montré son soulagement lorsque les habitants avaient accepté de les accueillir même en voyant sa peau bleue, mais semblait aussi mal à l’aise ici. En tout cas, il y avait bien trop de gens et de bruit dans cette pièce, et Coralie se demandait s’il valait mieux suivre l’inconnu qui lui tendait la main ou ressortir illico. Du coin de l’œil, elle vit Elias suivre une personne portant une robe noire et un foulard violet – Jax apparemment – dans les escaliers. Tant pis pour le pic-nique forestier, ils feraient une pause ici.

Coralie suivit Page jusqu’au troisième et avant-dernier étage. Chaque appartement paraissait une partie différente d’une grande maison. La cage d’escaliers en bois clair restait lumineuse malgré les petites fenêtres. Dans les étages, elle avait pu lire des écriteaux sur les portes colorées : «Vraie Bulle», «Frichti», «Nid», «Brico-Créa-Bureau». L’appartement à gauche au troisième s’appelait «L’Avoir (freeshop) & Lavoir». Elias s’était-il aussi fait embarquer dans une visite au sous-sol ? Elle s’inquiéta tout à coup d’avoir été séparée des autres, et d’avoir laissé leur blessé aux mains d’inconnues. Avaient-elles vraiment envie de les aider ? Pourquoi les séparer ? Ils passèrent la porte et ses questions restèrent en suspend dans les effluves de citron qui parvinrent à leurs narines.

Une grande pièce qui avait dû être pensée comme une cuisine présentait différents bacs et récipients dont une marmite en fonte posée sur un poêle à bois. Un escabeau permettait d’atteindre son contenu facilement et une pile de bûches était entassées contre le mur d’à côté. Différents tuyaux partaient du robinet central pour terminer dans les plus grandes bassines. Plus loin, une pièce contenait des cintres et des cordes tendues dans tous les sens, des quelques habits en phase de séchage proche de la fenêtre.

Coralie rattrapa Page au bout du couloir qui poussait une porte marquée «Freeshop». Celle-ci s’ouvrit sur une gigantesque penderie. Page lança un «Tadaa» comme si elle avait fait un tour de magie. Des étagères et commodes étiquetées pour tout type de vêtements : pulls, pantalons, chaussettes, bonnets. Il y en avait du sol au plafond, tout le tour de la pièce. Elle remarqua que la majorité des habits visibles étaient noirs ou violets, une spécificité de la maison ?

Page lui sortit différents styles de shorts et pantalons et lui proposa – si elle en avait envie – d’en prendre un. Coralie se demanda pourquoi cette personne qu’elle ne connaissait pas tenait à ce qu’elle voyage avec des habits supplémentaires. Devant sa moue dubitative, Page ajouta que ce pouvait être juste le temps qu’on lave le sien. Qu’on lave… Coralie baissa la tête, sa culotte improvisée n’avait pas tenu la route. Une traînée rouge descendait à vingt centimètres de son entre-jambes . Merde. Les événements lui avaient complètement fait oublier ça.

Elle remercia son hôte pour la proposition et attrapa un short et une lanière en tissu pour le faire tenir à sa taille. Elle lui demanda alors s’il y avait des serviettes de règles ou éventuellement des cups dans cette penderie. Malheureusement, Page déclina et lui indiqua que les personnes menstruées ici n’en utilisaient pas vu que l’extraction leur évitait ça, ainsi que les problèmes de contraception. Coralie se sentie fatiguée d’essayer de comprendre. Bien que l’agitation soit retombée depuis leur montée dans les étages, elle avait l’impression que plus elle se rapprochait de Vevey, plus elle entrait dans un monde éloigné de sa vie récente ou de ses souvenirs d’enfance.

Page l’entraîna dans une pièce voisine, la dernière de l’appartement. Des canapés et sièges formaient un cercle, couverts de tissus foncés. Une caisse d’objets en verre ou plastique À côté des fenêtres, dans un grand lavabo en pierre, deux personnes rinçaient des tubes. Elles les saluèrent à leur arrivée. Un grand sourire fendit le visage de Page qui s’adressa à Coralie.

- L’extraction menstruelle, tu connais ?

- La quoi ?

- Justement, je voulais t’expliquer ça. Mag ! Val ! Quand vous avez fini de nettoyer le matos, ça vous dit de compléter ce que je dis ? J’ai pas trop le bagage théorique sur l’extraction.

Les intéressées se retournèrent. L’une d’elle apparemment particulièrement enthousiaste. Elle vint se planter devant Page et Coralie.

- Tu viens d’arriver ? Moi c’est Mag. Vu tes pantalons c’est clairement le moment qu’on te montre ça.

- Euh. Coralie. J’arrive, oui, mais je comptais pas rester.

Page compléta pour Mag.

- Iel est arrivéx avec on blesséx. Emma et Jen s’en occupent à la bulle. On sort un set pour Cora ?

Val, qui séchait les tubes nettoyés, s’éclaircit la gorge et attira l’attention.

- T’inquiètes Coralie, y a pas d’obligation ici. Page et Mag ont tendance à partir du principe que découvrir l’extraction, c’est l’adopter. Moi ça m’a pris deux mois. On peut te montrer, t’expliquer, mais si tu veux repartir avec une culotte de règles je suis sûre qu’on en trouve au brico-créa-bureau. Jax ou des copaines de l’équipe peuvent t’en coudre une aussi si besoin.

Page et Mag hochèrent la tête aux propos de Val ; Coralie sentit la tension qui montait en elle s’apaiser. Elles s’installèrent les quatre sur les canapés, sortirent des tubes, récipients et seringues de la boîte centrale et passèrent près d’une heure à expliquer, montrer, attisant la curiosité de Coralie. Val prit le temps de faire quelques retours historiques sur l’importance d’avoir le choix et le contrôle sur sa fertilité, sur la libération de la période de règles et de ses contraintes. Elle réussit à placer que sa cup lui suffisait jusque là et qu’elle n’avait pas trop eu de souci sur la question de la fertilité, mais botta en touche lorsque Page voulut en savoir plus sur sa vie. Elle pu monter et démonter le dispositif simple qu’on lui présentait, et remercia les habitantes de lui avoir montré tout ça mais que ce serait pour une prochaine fois.

Coralie abandonna son pantalon dans une bassine d’eau froide pour aller chercher la culotte dont on lui avait parlé.